Concert au Musée La Boverie, Frédérique Bozzato, violoniste & Isabelle Landenne, pianiste.

Communion attendue du piano et du violon hier soir au Musée La Boverie que le graphisme du programme cherche à suggérer, mais en accordant néanmoins la prépondérance au violon. La table harmonique de celui-ci est représentée en intégrant quelques touches de clavier reléguant ainsi l’instrument polyphonique au rôle d’accompagnant.

Isabelle Landenne au piano et Frédérique Bozzato au violon se sont donc associées pour explorer les œuvres de Mozart, Clara Schumann,
Beethoven, Wieniawski et Grieg.

La première partie (concerto pour violon et orchestre n°4 en ré majeur KV218 de Mozart, le Nocturne en fa majeur de Clara Schumann et la Sonate n°5 en fa majeur op.24 dite « Le Printemps » de Beethoven) me conforte dans l’idée que la musique classique dans un de ses aspects peut être un vrai discours sans paroles, une conversation douce, chuchotée, emportée, ou envolée… particulièrement parlante dans la confrontation de ces deux instruments. Et celle-ci, dans deux des trois opus, donne plutôt un sentiment de légèreté, d’allégresse, de folâtrerie… même si certains accents laissent entendre parfois du désappointement comme il se peut que le Printemps et les amours en connaissent…

Je me disais donc à l’écoute de cette première partie que l’intonation des mots, des phrases, de la langue parlée, est cousine sinon sœur de la langue musicale. Ainsi le rythme syllabique de cette phrase :

« Vous savez, le pi-a-no est un bel ins-tru-ment » peut être représenté du point de vue de sa séquence par deux croches suivies d’une noire, auxquelles on pourrait ajouter des barres de mesure en faisant coïncider la première syllabe accentuée avec le premier temps d’une mesure à deux temps dont l’unité serait la blanche. Cette phrase rythmique greffée à une petite
mélodie donne la partition de la célèbre Bourrée de Bach. (Johann Sebastian Bach ou le discours sans paroles : quelques principes de base pour l’interprétation de ses œuvres au piano, Vincent Brauer)
Les coïncidences entre les accents d’une phrase mélodique et les principaux temps de la mesure me font songer que, peut-être, des aspirants compositeurs ou des compositeurs en panne d’inspiration (ou
d’endurance dans la construction de leurs œuvres) «traduisent» pour plus de facilités des œuvres littéraires déclamées en langage musical en ne dévoilant pas leurs sources. Cette «traduction» serait alors  plus particulièrement perceptible dans les morceaux de musique en manque de mélodies affirmées, d’airs à fredonner.

La deuxième partie (Légende op. 17 de Wieniawski, Scherzo n°2 en ut mineur op. 14 de Clara Schumann, et la Sonate n°3 en ut mineur op.45 de Grieg) dépasse la conversation entre les deux instruments pour verser dans le dialogue inspiré, s’exaltant l’un après l’autre, l’un pour l’autre, l’un avec l’autre et estomper progressivement les traces de tout langage parlé, de toutes intonations verbeuses, de toute théâtralité. Le piano seul dans le Scherzo n°2 de Schumann passe un palier supplémentaire en étant sollicité au plus loin de ses possibilités sonores.
Poussé dans ses derniers retranchements, il escamote la composition pour la laisser paraître créée par elle-même dans l’instant, d’un trait et entière, dans les mystérieuses arcanes de sa table d’harmonie. La musicienne et son instrument jouent ensemble, jouent ou se jouent l’un de l’autre jusqu’à se dépouiller de leur spécificité respective : la nature instrumentale de l’un devenant humaine et inversement.

La sonate de Grieg élève le défi de symbiose au quatuor (deux musiciennes et deux instruments) et son seul défaut sera d’être «élevée au défi», un des couples instrument-musicienne se faisant parfois le
subalterne de l’autre pour y parvenir, mais avec le mérite d’avoir flirté avec la gageure. Il reste sous les applaudissements deux techniciennes hors pair de la musique que le travail accompli sur leur art autorise désormais à n’être tributaires que des instants de grâce.

Alain Zenthner, artiste peintre, écrivain et critique
http://www.alain-zenthner.com